Les extases des Saint SEBASTIEN !


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Saint Sébastien est devenu une figure emblématique de l’imagerie gay ! Il faut souligner que ce sujet a été de multiples fois exploité par une myriade d’artistes. En effet, depuis les peintres italiens les plus célèbres, avant pendant et après la Renaissance, jusqu'aux peintres de toute l'Europe sur plusieurs siècles, c’est une avalanche d’hommes nus transpercés de flèches, offerts à la foule avide des spectateurs !


Petit rappel, entre histoire et légende, sur le personnage même de Saint Sébastien. Il a été martyrisé sous Dioclétien, empereur romain du III° siècle ap JC. Il était d’origine milanaise ou narbonaise, on ne sait pas trop ; il fut cependant commandant de la garde prétorienne, donc proche de l’empereur. Mais sa foi chrétienne le rendit coupable aux yeux de Dioclétien de trahison, car il bien connu que les Césars se faisaient révérer comme des dieux !


Bref, l’empereur décida de le faire mourir sous les flèches des archers, qui braves gars le transpercèrent sans le tuer ! Soigné par une sainte femme, il retourna voir l’empereur pour lui dire le fond de sa pensée (quelle flèche ce Sébastien !) et là Dioclétien sans aucune clémence ordonna qu’on le roua de coups et qu’on jeta le corps de cet impudent dans les égouts de Rome ! Ce qui explique que Véronèse montre plus ce passage là que l’épisode précédent.



Depuis il est devenu un martyre fort prisé, notamment chez les gays, qui décelèrent dans ses représentations artistiques des ambiguïtés sans équivoque, si j’ose écrire, ou si vous préférez, qui virent chez lui en seconde lecture un petit air de famille entre extase, SM et exhibitionnisme ! Il est d’ailleurs le saint patron de Rio de Janeiro, c’est tout dire !


Avant toute chose, il convient de citer le très remarquable livre de James Smalls, « L'homosexualité dans l'art », car il nous éclaire sur le contexte philosophique du néoplatonisme (XV°siècle) qui a permis l'essor de ces représentations :

«Marcille Ficin (1433-1499) développa une théorie complexe concernant la relation entre désir, sexualité et contemplation religieuse. Suivant Platon, Ficin affirma que l'amour est le désir de la beauté (...) Pour Ficin un homme est plus « naturellement » attiré vers un autre homme qu'il ne l'est vers une femme parce que le mâle lui rappelle « l'idée » de sa propre beauté intérieure. Les belles formes d'un autre homme favorisent la contemplation divine. Grâce à Ficin, le désir homosexuel devint un thème légitime de la recherche artistique et philosophique (...)»,James Smalls, « L'homosexualité dans l'art », Parkstone 2003



Je vous renvoie également au superbe livre de Dominique Fernandez, « L'amour qui ose dire son nom », ouvrage d'art et d’approche de l'homosexualité à travers l'histoire de la peinture. Le chapitre consacré aux Saint Sébastien est passionnant. Merci à ce génie de la plume d’avoir révélé tant d’évidences « cachées » ; Dominique Fernandez a une âme de peintre dans un esprit de poète et de romancier.


Partant de tout cela j’ai refait une « enquête personnelle » ! Ce qui frappe en premier dans les représentations des Saint Sébastien ce sont les poses du martyre et leurs connotations. On peut rapidement décrire une trentaine de tableaux parmi les plus célèbres :


Bras nonchalamment levé, façon pose de danseur, sans véritable « douleur » apparente, (Reni, Cariani, Wtewael, Lotto, Greco, Holbein, Ribera…)


Jeune éphèbe androgyne aux cheveux blond vénitien comme une synthèse à la fois de la Vierge et du Christ (Boltraffio)


Attaché les bras dans le dos et regard rêveur levé vers le ciel ou l’horizon, sans douleur ou crispation apparente, (Perugino, Cosme Tura, Boticelli, Basaiti, Antonello da Messina…)


Dormeur éphèbe (Francesco del Cairopris), enveloppé de clair obscur, (Latour, Bigot, Ribot…)



Christique, (Gozzoli…)


Indifférent à son martyre et plus proche d’une pose d’écrivain -tiens j’ai une ou plusieurs flèches ! ?-, (Bronzino…)


Blessé à mort façon descente de croix ou piéta en plus soft et souriant, (Procaccini, Terbrugghen…)


Visage interrogateur dans un corps qui parle plus de sensualité que de mort, (Goltzius, Preti, Rubens, Tiziano, Reni…)


En posture de prêcheur, prêt à parler avec les mains, (Grunewald, Ortolano…)


Marqué par la souffrance et cible de plusieurs flèches (Mantegna dont le St Sébastien apparaît de loin le plus âgé, Greco…)


Objet d’une ronde infernale d’arquebusiers et monté sur une potence (Pollaiullo…)


Je n’essaierai pas de faire mon intéressant avec des remarques comme : la flèche est un symbole phallique évident qui pénètre Saint Sébastien, d’autres que moi s’y sont risqués! Il me vient toutefois en mémoire une autre scène qui pourrait aussi faire penser à notre saint. J’avais lu que Georges Bataille s'était interrogé sur un supplice tout aussi tragique sinon plus : le supplice chinois des 100 morceaux, qu'il a décrit d’après une photographie en sa possession, et où, vu la tête du condamné et l'interprétation qu'il en donne, supplice semble rimer avec délice! Vous voyez Saint-Sébastien n’est pas loin…



Il me rappelle également un personnage mythique : celui d’Apollon ! N’oublions pas qu’il se substitue à l’image païenne du dieu grec, sensé notamment intercéder lui aussi contre la peste ! Il est un Apollon chrétien, mais à l’envers, ce n’est plus le dieu grec solaire lançant des rayons et traits de lumière en dieu-archer surpuissant, il est celui qui reçoit les rayons, les flèches dans son corps, cependant il garde la beauté masculine et la plasticité du dieu grec, comme sa nudité d'ailleurs.

Saint Sébastien incarne l'image de la vérité face à la persécution, d'où sans doute le peu de place laissé à la souffrance temporaire et terrestre face à une éternité paradisiaque. Il porte de la même façon toutes les connotations possibles : beauté, innocence, jeunesse, androgynie, douceur, raffinement.


Mais, en dehors de toute fascination pour ce beau corps de garçon donné en pâture, la persécution elle-même n'est-elle pas un des points essentiels qui peut relier ce personnage et ses représentations à l'homosexualité? Là aussi les images se fondent, s'enrichissent et créent des échos singuliers : persécutions mais aussi fascination des persécuteurs, sensualité du persécuté, douleur et extase! Tout se joue entre Eros et Thanatos, comme entre le plaisir de faire souffrir et le plaisir de souffrir, et cela aussi n'a pas échappé au monde gay!


Dans les myriades de représentations saint sébastiennesque le XX° siècle, comme le XXI° qui commence, auront bien compris toute l'ambiguïté, la sexualité, et la symbolique de ce personnage, véritable allégorie du monde gay d'aujourd'hui.


Prenons par exemple le peintre français Alfred Courmes (1898-1993) qui a plusieurs fois abordé ce sujet au début du XX° siècle. Son Saint Sébastien matelot déculotté de dos ou de face (il y a plusieurs tableaux de lui sur ce thème) et entouré dans un tableau d'hommes nus, ne laisse aucun doute sur la teneur véhiculée par cette image : l'homoérotisme est révélé crûment ! Ce matelot prend sa place dans l’univers gay avec ceux des personnages de Genet ou de Cocteau.



L’écrivain japonais Mishima (1925-1970) dans le roman « Confession d’un masque » en 1948, raconte comment dans son adolescence la contemplation d’un Saint Sébastien de Guido Reni l’a bouleversé et lui a fait prendre conscience de toute la portée homosexuelle d’une telle représentation et des fantasmes sado-masochistes qu’elle entraîne. Il s’est d’ailleurs fait photographier lui-même dans la pose d’un Saint Sébastien !



A noter aussi le très beau Saint Sébastien du peintre grec Yannis Tsarouchis (1910-1989), que m’a fait découvrir Olivier Delorme, qui a vécu les 20 dernières années de sa vie en France, et dont le tableau révèle un jeune homme en pleine "vigueur" en short et baskets ...



Le cinéma a également traité ce sujet, comment ne pas citer le film de Dereck Jarman, sorti en 1976, « SEBASTIANE », dont voici ce qu’en dit Didier Roth-Bettoni, dans son livre « L’homosexualité au cinéma » :


« …Son premier long métrage est ainsi un intense poème homoérotique autour de Saint Sébastien et de sa mort en martyr sous les flèches de ses camarades, soldats romains exilés comme lui dans un camp dans le désert et livrés à eux-mêmes et à leurs pulsions (…) Jarman en fait un hymne sidérant en l’honneur du corps masculin, célébré ici avec une sensualité rarement vue hors du porno gay. »


La photographie a de multiples fois fait référence à Saint Sébastien dans un discours clairement gay. Il n'y a plus ici de lecture à plusieurs niveaux comme cela était le cas dans la peinture d'autrefois, la lecture homosexuelle immédiate est appuyée. Mais, ce qui était jadis suggérée (attirance pour le corps d'un homme), a pris la première place et ce qui était énoncé (martyre, persécution) est devenu bien secondaire, voire anecdotique !

Il est cependant impossible ici de faire une étude exhaustive de tout ce qui a pu être créé à partir de cette image, on ne donne qu'au riche et vous l'avez compris Saint Sébastien est une mine inépuisable d'inspirations et de suggestions.


Notons cependant le tableau de Haring en 1984, qui montre un personnage rouge sur fond bleu en érection tirant la langue de douleur et d’effarement quand de petits avions rentrent dans sa chair, ce Saint Sébastien « Twin Towers » a de quoi surprendre, mais il fut bien prémonitoire en fait…


Si Saint Sébastien continue, notamment dans le domaine de la photographie, a permettre la mise en scène de beaux corps masculins très sexy (voir magazine anglais Refresh et d'autres), il ne faudrait toutefois pas oublier que les persécutions continuent toujours même sous la multitude des représentations et illustrations glamour contemporaines. La fascination pour la beauté, ne doit pas occulter la cruauté sous-jacente.



Rappelons-nous aussi que nos Saint Sébastien d’aujourd'hui marchent tranquillement dans le parc de Reims, ou le parc Borelly de Marseille, et qu’ils sont tués ou tabassés, qu’ils essayent de survivre dans des pays comme l'Arabie Saoudite, l'Iran, ou certains pays africains et qu’ils sont lâchement humiliés, exécutés et exhibés devant des foules d’hommes et de femmes fanatiques…


J'ai bien l'impression que Saint Sébastien restera encore longtemps une « image » d'actualité!





BIBLIOGRAPHIE:


« L'amour qui ose dire son nom », Dominique Fernandez, Stock 2001


« L'homosexualité dans l'art », James Smalls, Parkstone 2003


« L’homosexualité au cinéma », Didier Roth-Bettoni, La Musardine 2007



sites Internet


Web Gallery of art -  site de recherches sur la peinture, vous y découvrirez de magnifiques représentations des grands tableaux classiques (et des photographies de ces œuvres surprenantes de clarté et de fraîcheur)


Insecula.com – site sur la peinture et musées, site très intéressant à découvrir.


bode.diee.unica.it/~giua/SEBASTIAN/ tous les St Sébastien ! remarquable site Internet de par le travail de recherches et de compilations effectué sur St Sébastien.


affiche de l'article tiré du magazine Refresh, voir site : de très belles photos et liens pour abonnement.


Alfred Courmes, très beau site consacré au peintre Alfred Courmes, à découvrir pour son univers si particulier.


Voir « La Beauté Amère », fragments d’esthétiques, Jean-Michel Rabaté, pages sur Mishima, sur books.google.com

2 commentaires:

  1. Je viens de lire avec intérêt cet article très documenté sur Saint-Sébastien. J'y ai découvert de nombreux aspects que je n'avais pas perçus. Vous me donnez envie de lire le livre de D.Fernandez, auteur que j'aime, et dont j'ai déjà lu de nombreux ouvrages (romans ou livres d'art). Envie aussi, d'aller regarder différemment certains tableaux représentant ce saint martyr. Alors, merci !!

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  2. Merci encore une fois pour tant de précisions et de belles images sur mon saint protecteur. Bise !

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