Abdellah TAÏA : « LE JOUR DU ROI » n'est pas un jour de fête !


(0) commentaires

C’est toujours risqué d’acheter un livre d’un auteur que l’on a aimé dans un premier roman. Tout ce qui a pu charmer et séduire s’envole la plupart du temps car le nombre de romanciers capables d’avoir un véritable souffle et une inspiration hors pair, œuvre après œuvre, est plus que limité !

J’avais découvert Abdellah Taïa (1) dans son roman « Une mélancolie arabe », ce livre m’a « porté » et j’ai longtemps gardé en moi ces impressions et ces confessions touchantes (voir mon précédent article Trois étoiles à A. Taïa). De même, les amis proches auxquels j’avais conseillé ce livre en avaient eu une émotion similaire.


Cependant, « Le jour du roi » qui vient de paraître (et qui a obtenu le prix de Flore 2010...) m’a passablement ennuyé ! Certains livres vous « absorbent » littéralement et captent toute votre attention pour vous entraîner dans leur « univers », d’autres sont imperméables, vous glissez alors sur les pages comme les gouttes d’eau sur une fenêtre, on a beau revenir en arrière, reprendre toute la lecture, rien n’y fait, ça ne fonctionne pas !

Delacroix
Cet ennui je l’ai éprouvé à plusieurs niveaux. Tout d’abord sur l’histoire qui commence par un rêve cauchemar et se perd dans divers méandres comme une rivière qui s’assèche. Ensuite sur l’écriture elle-même qui est une compilation de phrases ultra courtes qui hachent toute lecture et provoquent une forme d’asthme et de sécheresse stylistique. Enfin jusqu’aux longs dialogues délayés qui ne servent qu’à rallonger le récit et n’apportent rien car l’histoire reste assez confuse…

C’est à travers un enfant que se déroule le récit de ce « roman », je mets des guillemets à ce mot car je ne suis pas sûr que ce soit la bonne désignation, tout me semble plutôt se rapprocher d’une longue nouvelle.

Renoir
Un cauchemar, une mère absente, un père inconsistant, un roi qui ressemble à une sorte d’ogre, un ami que l’on hait, que l’on aime, que l’on jalouse, qui vous prend le rêve même qui aurait pu devenir réalité, que l’on tue! Et par-ci par-là : un personnage qui sort de prison et un portrait étonnant de femme qui ressemble à une esclave, car la condition féminine apparaît encore en bien piteux état au Maroc...

On sent qu’entre les mots l’ombre d’un système oppressant pèse sur tous les personnages, mais rien n’est vraiment dénoncé ; il n’y a pas dans ce roman le souffle que j’ai trouvé par exemple dans « Le village de l’allemand » de Boualem Sansal (2) , qui est un livre d’une beauté, d’une force et d’une émotion totale, et qui raconte aussi (bien que les événements dans le fond soient très différents) la vie de deux jeunes frères face à une histoire qu’ils dénouent petit à petit.

Les divers ingrédients du livre « Le jour du roi » ne donnent pas un récit homogène ; le style indique déjà qu’il n’y aura pas d’explication ou d’investigation plus poussée, c’est un ensemble de toutes petites touches-phrases, strictes et un peu sèches. Cependant, à de rares moments le style de Taïa se libère un peu et retrouve corps et chair, notamment lorsqu’il décrit le moment d’abandon et d’intense sensualité entre Omar et Khalid dans la forêt.

A mon sens, l’écriture d’Abdellah Taïa aurait mieux convenu à un recueil de nouvelles ; l’auteur aurait pu dessiner quelques croquis de personnages du Maroc, avec des situations cocasses et des atmosphères encore lourdes de croyances et de superstitions, plutôt que de livrer deux cent pages d’un « roman » dont on ne saisit ni les intentions ni l’intérêt.

Dans une certaine presse, on présente de plus en plus Abdellah Taïa comme l’écrivain courageux qui ose parler d’homosexualité dans un pays, le Maroc, où le silence et l’hypocrisie en ce domaine ne sont plus à démontrer !
Bien sûr comme tous ceux qui sont attachés à la « Liberté » et à la reconnaissance des droits LGBT, on ne peut que se réjouir, de voir un homme de lettres se poser courageusement comme un exemple clair dans un pays encore plongé dans une forme d’obscurantisme, mais n’est pas Gide, Genet ou Cocteau qui veut...


Il faudra donc attendre un autre "roman" de Taïa pour goûter à une histoire prenante, soutenue par un vrai style et qui reste au fond de nous comme le parfum profond de la cannelle, pour reprendre une image employée par le petit "Omar" dans un moment de délice...

(1) Bibliographie d’Abdellah Taïa :

· Mon Maroc, récit, Séguier, 2000.

· Le rouge du tarbouche, roman, Séguier, 2004.

· L'armée du salut, roman, Seuil, 2006.

· Maroc 1900-1960, un certain regard, avec Frédéric Mitterrand, Actes Sud, 2007.

· Une mélancolie arabe, roman, Seuil, 2008.

· Lettres à un jeune Marocain, recueil de lettres, Seuil, 2009.

· Le Jour du Roi, roman, Seuil, 2010.

(2) Bibliographie de Boualem Sansal :

· Le Serment des barbares, Gallimard. Prix du premier roman 1999, Prix Tropiques 1999. Folio n°3507.

· L'Enfant fou de l'arbre creux, Gallimard. Prix Michel Dard. Folio n° 3641.

· Dis-moi le paradis, Gallimard.

· Harraga, Gallimard. Folio n° 4498.

· Le Village de l'Allemand ou Le journal des frères Schiller, Gallimard. Grand Prix RTL-Lire 2008, Grand prix de la Francophonie 2008, Prix Nessim Habif (Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique), prix Louis Guilloux1.























0 commentaires:

Enregistrer un commentaire