Tweet again à New York !


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« Nous devrions être assez convaincus de notre néant : mais s'il faut des coups de surprise à nos cœurs enchantés de l'amour du monde, celui-ci est assez grand et assez terrible. Ô nuit désastreuse ! ô nuit effroyable, où retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle : Madame se meurt ! Madame est morte ! » Bossuet

Cette célèbre phrase de Bossuet, a été écrite pour l’éloge funèbre d’Henriette d’Angleterre qui, sous le règne de Louis XIV, trépassa soudainement en quelques heures à l’âge de 26 ans ; ce qui frappa énormément les esprits de l’époque.

C’est en effet dans la brutalité des événements, dans le changement brusque, dans le coup d’arrêt net et violent de la vie, sonnant comme une exécution non annoncée, que l’angoisse de disparaître aussi vite naît immédiatement dans l’esprit de ses contemporains. Il fallait admettre l’impensable : la mort d’une jeune princesse aimée et admirée de tous !

Leon Joseph Florentin Bonnat - Job

Pendant des siècles l’Eglise tira profit de cette peur pour maintenir sous sa domination les hommes qui pouvaient craindre de voir le ciel leur tomber sur la tête ou le sol se dérober sous leur pas à tout instant. Il fallait donc prier, suivre les préceptes de l’Eglise et se tenir prêt car nul « ne connait le jour et l’heure » comme il est dit dans les évangiles.

Les croyances ayant suivi les mêmes décompositions que les églises, les philosophies politiques et les sociétés, il ne reste aujourd’hui qu’une simple stupeur des hommes devant ces événements inimaginables, un effarement, une consternation qui en dit long également sur les sociétés modernes et sur les certitudes d’hommes et de femmes qui ne se pensent qu'immortels et invincibles...

Déesse de la Fortune à Rome

Effectivement nous ne sommes pas convaincus du tout de notre néant quand la vie quotidienne fait de nous des consommateurs rois aux pouvoirs virtuels infinis! Le monde moderne polit et gomme en permanence les cruelles aspérités que nos ancêtres pouvaient connaître au jour le jour avec le vieillissement marqué, la dureté de la vie et de la recherche de nourriture au quotidien, les maladies multiples souvent incurables à l’époque, le travail pénible et peu rentable, et la mort présente dès le plus jeune âge.

Pourtant tout peut basculer et chavirer d’un coup, aujourd’hui comme hier. Sommes-nous préparés à cela ? De façon spectaculaire nous voyons s’écrouler nos fiertés et nos modes de vie : il y a dix ans les tours jumelles du WTC, jadis le Titanic, les incroyables tsunamis de 2004 et 2011. Dans un quotidien moins extraordinaire et plus banalisé, nous vivons par exemple la découverte d’une séropositivité, une noyade, un accident de voiture, un crash d’avion ! Mais avons-nous assez réfléchi sur ces infortunes où subissons-nous passifs ces calamités ?


Ce qui manque c’est une forme de recul et de réflexion profonde ; mais nous ne sommes plus capables d’être seuls assis sur le rebord de notre lit pour philosopher un peu. Rappelez-vous Pascal : le « roi » a plus que jamais besoin de divertissements toujours renouvelés, il passe de l’un à l’autre de ses amusements sans s’arrêter jamais ! Le « no prise de tête », dirions-nous aujourd’hui, est sa ligne de conduite. Vous imaginez le choc que ces esprits pourraient rencontrer lorsqu’ils viendront à vivre un événement majeur dans leur vie…

Job (on oublie malheureusement ce très beau livre plein de sagesse, tiré de la Bible), vit une terrible infortune, que rien ne peut expliquer, hormis le fait que Satan avec l'assentiment d'un Jéhovah-Zeus s’amuse à bon compte sur son dos; mais sa qualité première c’est de rester la tête froide et de regarder calmement son destin et de n'accuser personne ni homme ni Dieu. Il est comme détaché de lui-même, ne se laissant ni impressionner ni intimider par ses déboires et par les explications que les hommes autour de lui s’ingénient à lui donner. L'utilité de son infortune sur cette terre n'est pas expliquée, mais il s'agit d'une épreuve dont il sort vainqueur (et les voies de la métaphysique n’ont guère d’explications cartésiennes à produire).

Le Titanic

La « Fortune », les hommes l'ont vénérée depuis la nuit des temps. A Rome elle était la déesse en or qui ne quittait jamais les décideurs et les empereurs, si avertis des brusques revers d'une vie publique. Fait sans précédent, la légende dit qu’elle avait favorisé l’accession au trône de Servius Tullius qui, vers -200, abandonna son statut d’esclave pour devenir roi ! Depuis l’époque romaine on a ainsi pris l’habitude de représenter la Fortune avec une roue ou un gouvernail. Comme chacun le sait la roue tourne et le gouvernail peut faire changer de route…Les anciens semblaient avoir mieux conscience que nous de cette fortuna et infortune dans leur vie de tous les jours qui allaient de pair avec la précarité même de leur existence.

Aujourd’hui cette roue est toujours là pendue sur nos têtes, au même titre que la fameuse épée de Damoclès. Nous ne savons ni le jour ni l’heure de nos déboires, des imprévus terribles de la vie, de notre mort, de celle de nos proches. En cela malgré les progrès prodigieux de la science, les diseurs de bonne aventure, mages, chamans, voyantes n’ont jamais été aussi nombreux dans nos sociétés, car ils viennent sans doute combler un vide laissé par le reflux des religions et des philosophies matérialistes qui ont produit tant d’Attila modernes.


Les grandes catastrophes renvoient à cette peur inhérente au fond de l’être humain : celle de mourir et disparaître d’un coup ! Mais nos moyens aujourd’hui sont assez pauvres pour nous aider psychologiquement à la surmonter. Nous sommes à l’ère du tweet, des confidences sur Facebook, des échos numériques, de tout un ensemble de feux d’artifice webien qui est une forme de jeu sans frontière ni tabou où tout peut se dire, se révéler, se répandre dans une forme de surenchère aussi frénétique qu’inintéressante. C’est un pépiement sans fin où le poids de la réflexion, de la poésie, des œuvres de la pensée n’ont pas vraiment de place. Le désert nous guette.

De plus, la rumeur ne s’est jamais aussi bien portée que de nos jours, où elle s’est relookée dans le monde de la 3 D : dérision, débilité, désengagement. C’est le premier qui l’a vue, le premier qui l’a dite, le premier qui l’a répétée, le premier qui l’a amplifiée, le premier qui l’a tweetée. Cependant, au niveau de l’humain, profondeur, sens, personnalité sont des notions largement abandonnées et paradoxalement plutôt du côté de notre vieil occident que des réseaux sociaux qui se découvrent ailleurs sur la planète et qui ont gagné leurs galons d’excellence en œuvrant pour la Démocratie et les Libertés élémentaires.

C’est peut-être ça le signe d’une mort lente de notre civilisation occidentale : l’insoutenable légèreté d’une société entière qui porte à l’endormissement et aux propos stériles. C’est ainsi un nouveau jeu du cirque pour les peuples égoïstes : on s’y frappe de stupéfaction, on s’y étonne, on s’y bouleverse, on palabre sans fin sur rien de concret, on s’y laisse devenir pantois, on y sort tous les préjugés collés au fond de notre inconscient et chacun s’y excite tour à tour pour retomber dans son exemplaire atonie.

Dans ce cas, la première infortune aujourd’hui n’est ce pas oublier que nous avons des cerveaux et qu’il conviendrait de s’en servir ? Pourquoi se transformer en carrefour mondial où les idées de chacun trottent et courent ? Toutes ces infos ne deviennent-elles pas l’opportunité de tous ceux qui ont intérêt à nous épingler dans nos rôles de spectateurs passifs et d’autistes à écran ? Posons-nous la question de savoir si nous ne sommes pas en fin de compte manipulés par nos propres rumeurs, nos propres incompétences, nos propres abdications devant ce qui distingue l’Homme : la pensée.

Edward Moran : La Statue de la Liberté

Pour parodier Bossuet, sur un fait divers qui a excité un nombre incalculable de personnes en France et partout dans le monde, et où le sang froid et les bases de la démocratie ne sont pas vraiment sortis grandis, j’oserai écrire « ô nuit effroyable, où retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle : DSK menotté ! DSK en prison ! »


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