"L'Orient fantasmé" qui vit dans nos coeurs !


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La fascination de l’Orient est entrée dans notre culture comme les coquelicots qui s’invitent dans un champ au printemps. Ce filon de chatoiements, couleurs, exotisme, dépaysement, et quelque part goût de l’antique via le Moyen-Orient et le Maghreb, a fécondé l’imagination des créateurs européens depuis plusieurs siècles qu’ils aient été dramaturges, écrivains, poètes, philosophes, compositeurs, peintres, décorateurs, créateurs des arts de la table ou créateurs de mode.

Depuis Molière et ses célèbres « turqueries » montrées dans la pièce « Le bourgeois gentilhomme », en passant par les bijoux du roi Soleil lui-même qui se parait de diamants tel un maharadjah, exhibant notamment un énorme diamant bleu ramené des Indes et taillé en « rose de Paris »(1), jusqu’à nos jours, l’Orient, de ses mille et une suggestions et évocations, est devenu un champ d’exploration, de rêveries et de créations somptueuses.

Nous recherchons toujours ce que nous n’avons pas ou n’avons plus ! Ainsi, d’autres mœurs, d’autres goûts, d’autres comportements, d’autres expériences mystiques, d’autres vies plus proches de la nature ou de l’aventure, ont séduit d’innombrables hommes et femmes, et pour n’en citer que quelques uns : Alexandra David Néel, Rimbaud, Thomas Edward Lawrence, Gauguin, Henry de Monfreid etc. etc. etc.

G F Brest
Et puis il ya tous ceux qui sans être des « aventuriers » ont été simplement séduits et fascinés par cet Orient qui offrait une si nette et lumineuse cassure par rapport à leur vie occidentale, permettant à l’inspiration de se renouveler brillamment. Ce fut le cas avec la musique et nombre d’œuvres qui ont été inspirées par l’Orient.

En effet, combien de compositeurs ont-ils été ainsi subjugués par les thèmes orientaux dont ils se sont inspirés, tels Mozart avec « L’enlèvement au Sérail », Weber avec « Abu Hassan », Bizet avec « Djamileh », Saint-Saëns avec la « suite algérienne », « le concerto n°5 » et l’opéra « Samson et Dalila », d’Indy avec le poème symphonique « Istar », Nielsen avec « Aladdin », œuvre si mal connue, Rimsky-Korsakov avec la délicieuse « Shéhérazade », Massenet avec notamment « Hérodiade » et « Thaïs », Richard Strauss avec « Salomé », Johan Strauss avec la « Marche égyptienne », Khatchatourian avec « Gayaneh », Ketèlbey avec le « Marché Persan », Balakirev avec « Tamara », Glazounov avec « La rhapsodie orientale » etc.
Ziem

Captivés par les couleurs intenses de ces pays, les peintres ont sans doute été les premiers à vouloir faire connaître physiquement cet Orient mystérieux et à reproduire cette lumière avec les vibrations des coloris vifs et purs qui se révélaient à leurs yeux ; tout comme les impressionnistes qui furent enthousiasmés par le midi de la France.

Ces régions de lumière ont permis aux peintres de sortir de leur atelier pour se confronter à la réalité et s’ensorceler des luminosités mêmes que leurs pinceaux essayaient d’apprivoiser à travers mer, montagnes, flore, faune, architectures, et rencontres saisissantes d’hommes et de femmes. Ils ont ainsi produit de remarquables tableaux, dont le livre « L’Orient fantasmé », de Jean Lepage, essaye de nous restituer une idée généreuse et précise, même si l’ensemble des peintres « orientalistes » de renom ne s’y retrouvent pas, tels Ziem, Liotard, Gérôme, Delacroix, car le point de départ de cet ouvrage correspond au fond propre du musée de Narbonne.

La traduction des « Mille et une nuits » début du XVIII°s, le goût du pittoresque oriental, sans compter les événements géopolitiques majeurs comme la campagne d’Egypte de Bonaparte, puis l’indépendance de l’Egypte, la libération de la Grèce de l’emprise ottomane avec notamment la bataille de Navarin, la colonisation de l’Algérie durant le XIX°s, et l’ouverture de lignes ferroviaires comme "L’Orient Express" en 1883 ont amené un élan général de curiosité et de fascination en occident.

Liotard
Les peintres ont su tirer un énorme profit créatif de ces pays qu'ils découvraient souvent avec passion, témoignant à leur façon des us, coutumes, scènes de la vie courante et manières de vivre de ces peuples, si proches de l’antiquité, alors que s’ouvrait en Europe une industrialisation qui allait bouleverser irrémédiablement (avec les guerres à venir) nos comportements, nos vies, nos frontières et nos modes de pensées.

Les œuvres du musée de Narbonne offrent un bouquet passionnant d’un ensemble de peintres, aujourd’hui totalement inconnus du grand public, qui ont produit des œuvres très intéressantes et injustement oubliées. Le livre « L’Orient fantasmé » nous replonge dans cette redécouverte de l’Orient entre fin du XVIII°s et début du XX°s, et ce « voyage » pictural continue effectivement à produire les mêmes magies qu’autrefois.

Je ne résiste pas au plaisir de commenter quelques tableaux de ce riche ouvrage qui ont retenu mon attention, mais j’ai parfois été surpris par la critique un peu dure qui accompagne ces œuvres.

Duvieux
DUVIEUX : Son paysage d’Istanbul au coucher du soleil semble incandescent, la lumière ne fait pas simplement que nimber cette capitale orientale, chaque maison prend la couleur des braises. Peut-être que cette ville brûle du désir inconscient que le peintre a développé pour elle? En tout cas, ces superpositions de couleurs, du bleu clair aux bruns intenses en passant en son horizon citadin par du jaune-orangé-sanguin, rappellent les bandes de la bayadère et rendent ce tableau presque moderne.

Garneray
GARNERAY : Le 20 octobre 1827 la bataille navale de Navarin a vu s'opposer 26 navires occidentaux à 110 navires turcs et égyptiens! Mais tout compte fait les occidentaux envoyèrent par le fond l'armada turco-égyptienne. Le rententissement de cette bataille fut énorme et influença notamment le goût des "turqueries" en Europe ! Ce tableau monumental de Garneray est à la fois une superbe marine de guerre, un témoignage d'une victoire éclatante et aussi une oeuvre de propagande puisque le tableau fut commandé par le Comte de Chabrol ministre de la marine de l'époque.

Lazerges
LAZERGES : Ce peintre aujourd'hui inconnu ou presque a été très sollicité dans la seconde moitié du XIX°s. Il offre avec ses portraits, repris sur la couverture du livre "L'Orient fantasmé", un beau témoignage notamment sur ces femmes d'Alger qui apparaissent telles des héroïnes antiques parées de bijoux et de couleurs chatoyantes. Lazerges a produit également de nombreuses peintures religieuses; ces tableaux orientaux s'inscrivent sans doute dans cette perspective d'un Orient qui permet de s'imaginer encore dans les temps anciens et bibliques avec tous les clichés qu'on pouvait également entretenir.

Roubtzoff
ROUBTZOFF : Que dire devant cette figure de femme assise les jambes repliées sur elle-même et allaitant un enfant? Si ce n'est que cette image triangulaire délivre un message de beauté, de douceur, de chaleur et de tendresse. Cette femme fascine par son extraordinaire regard noir perçant. Datée de 1942 et réalisée à Tunis, cette Madone arabe, intemporelle, s'éloigne des affres de la deuxième guerre mondiale qui a aussi ravagé l'Afrique du Nord et nous donne une très belle leçon de vie et d'amour maternel.

Berchère
BERCHERE : D'abord j'ai cru voir un tableau de Félix Ziem et puis j'ai découvert la signature: Berchère! Encore un inconnu dont on regrette de savoir si peu de choses. mais quel merveilleux ciel et quelle eau transparente pour nous inviter à rêver d'un voyage sur le Nil ! D'autres tableaux de ce peintre découvert via le Net me font penser aux meilleurs représentants de la peinture classique française. A redécouvrir d'urgence!

De Dieudonné
DE DIEUDONNE : Etrange fatma aux seins nus qui me rappelle plus une Judith triomphant d'Holopherne ou une Salomé après son crime, plutôt qu'une femme esclave portant sur un plat les insignes de son guerrier et maître! Le visage androgyne et caravagesque s'éclaire d'un croissant doré entre le collier de pièces et un foulard qui enserre sa tête. Le sourire et le regard joueur font fi de ses seins nus et des convenances. Le tissu rosé de la robe pourrait presque être imprégné du sang que contiendrait le plat... Et si derrière le personnage atypique de ce tableau se cachait une allégorie de l'amour déposant ses armes après les souffrances encourues?

Launois (détail du tableau)
LAUNOIS : Deux danseurs mélancoliques, dont un au premier plan au visage très proustien, habillés de couleurs acidulées à la Marie Laurencin mais rehaussées de coups de pinceaux ondulants et larges, nous regardent, assis, entre curiosité et lassitude. Peut-être sont-ils l'écho de ce que le peintre, lui-même traumatisé par la guerre de 14-18, pouvait ressentir face à sa vie. Il ne vécut que 44 ans.

 


Notes et liens :

1-Il s’agit du « diamant bleu de la Couronne de France », volé à la Révolution. Actuellement dénommé diamant « Hope », du nom d’un banquier l’ayant racheté au début du XIX°s. Il appartient aujourd’hui aux collections du Smithsonian Institute de Washington. Il est l’objet le plus visité dans le monde après la Joconde !

site du musée de Narbonne : Musée de Narbonne








2 commentaires:

  1. merci de m'avoir fait partager ce moment de grâce avec toi
    Alégria

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  2. Tu e un excellent auteur Jean-Louis, j'adore tes descriptions de tableaux, et je vais me dépêcher de découvrir les musques et opéras que tu cites en entrée de ton billet , bisous:)

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