La parabole du Bon et du Vaurien !


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Détail d'une fresque de Gaudenzio FERRARI

Sur le livre de Philip Pullman « Jésus le bon et Christ le vaurien », Gallimard, février 2012

Depuis plus de 100 ans les chercheurs ont patiemment étudié, comparé, questionné, nettoyé de tous les rajouts et fioritures, les textes dits sacrés, relatifs à l’histoire de Jésus Christ et des autres textes de la Bible, pour avoir la photographie la plus approchante des textes d’origine.

Malheureusement pour ces chercheurs coupés des croyants et sciemment ignorés des églises chrétiennes comme des religieux juifs, leurs découvertes n’ont guère atteint le grand public


Salvator Rosa - Christ

On en est encore réduit aujourd’hui à croire dans une grande partie de l’occident que le monde a été créé en 7 jours (en 2011 les créationnistes représentaient 40% de la population aux USA et plus ou moins 10% dans les pays d’Europe - voir l’article in fine*), qu’Eve a commis un pêché de chair avec Adam et que la mer s’est coupée en deux pour laisser passer Moïse et son peuple vers la terre promise comme dans le film spectaculaire de Cécil B de Mille !

Chercheurs, théologiens, philosophes ont bien essayé de se faire entendre mais il est difficile de lutter contre une tradition, une habitude culturelle, une paresse mentale et un manque de sens critique, sans compter le poids d’inertie que représentent les fondations de ces monuments de la croyance humaine pris dans le béton des mots et des dogmes !

Un roman comme celui de Philip Pullman peut mieux réussir à « passer » dans les esprits et le grand public afin de provoquer de saines réflexions et des remises en cause salutaires…

En effet, il n’est pas vain de réexpliquer et éclairer ces livres anciens, d’abord parce que la croyance à œillères n’a pas reculé même si les églises et autres lieux de culte ne sont plus remplis à 100% et que la population semble s’y désintéresser en partie.

Dans le débat public, ici et ailleurs, les questions concernant la sexualité, les moyens de contraception, la place des minorités si longtemps stigmatisées comme les homosexuels par une soi-disant parole divine, y compris la place des femmes, continuent à se poser face à des croyants activistes englués dans leurs livres d’interdits, et à ceux qui s’en réfèrent par habitude de part leur milieu et leur culture. Ce poison lié à une mentalité « archaïque » finit par poser des problèmes pour toute la population éloignée de ces considérations religieuses désuètes mais qui sera cependant vite concernée dans son quotidien.

Dali
Quelle audace Philip Pullman a-t-il eu de réécrire un nouvel évangile et d’en apporter une lecture si claire sur les intentions qui ont pu entourer l’émergence de la figure de Jésus Christ dans l’Histoire de l’humanité. Ce romancier philosophe a pris des risques et dans une autre époque aurait été considéré comme hérétique !

En dissociant fort habilement Jésus du Christ, comme deux frères tels Abel et Caïn, et en réalisant deux figures distinctes dont les intentions divergent, il donne une lecture très décoiffante de ce qui aurait pu se dérouler il y a 2000 ans !

Avec génie, il crée donc le personnage indépendant du Christ, ce qui d’ailleurs n’est pas faux puisque ce nom a été attribué à Jésus après coup (« christos » en grec signifie « messie » qui lui-même vient de l’hébreu et signifie « oint du seigneur » ). Chacun peut constater qu’il y a bien une figure historique « Jésus » et par la suite une identité et un concept différent « Jésus Christ ».

Bronzino - le Christ
Dans le roman de Pullman, Christ est le double palot de Jésus qui lui est un personnage intègre et jusqu’au-boutiste. Christ veut d’abord innocemment se positionner comme le versant intellectuel de Jésus et presque pourrait-on dire le côté « directeur de com. » avant la lettre de son frère ! Mais Pullman en fait tout à la fois le Judas de l’histoire et la première ébauche et vision de l’Église! Ici Christ prend l’habit de Machiavel, il dessine dans son rêve ce que sera l’Église de demain : son organisation sans faille et aussi sa main mise sur les esprits et la liberté de chacun…

Mais Jésus n’aime pas ce projet et le rejette, Christ agira donc dans l’ombre de son frère. Et c’est là qu’apparaît le « deus ex machina » du roman, à la fois point fort et point faible du récit, selon l’appréciation de chacun. Effectivement, ce personnage hors du commun et mystérieux, dont on ne connaîtra jamais le nom et dont on ne sait s’il s’agit d’un ange, de Satan (il s’en défend dans le livre) ou pire de Dieu lui-même, se charge de faire basculer les faits dans le sens du miraculeux et du divin...


Giotto - Le Christ et le baiser de Judas

En effet, au jardin de Gethsémani Jésus, très solitaire, se plaint du silence de Dieu et de son indifférence au sort des hommes, venant même à douter de son existence. Face à cette douloureuse sensation de vide, la transformation de la vie de Jésus, pour le transfigurer à son insu, dévoilerait en quelque sorte la réponse indirecte d’un Dieu cynique pour fonder une religion qui tient plus de la manipulation et des intérêts bassement humains que d’une transcendance quelconque.

Michel Ange - Le Christ
L’homme s’est ainsi créé un Dieu fidèle à son image : mêlé de faux et de vrai, d’élan mystique, de compassion, de sournois calculs, et d’ombres impénétrables.

Philip Pullman dresse une version toute humaine de Jésus : ses actes tiennent du bon sens et non du merveilleux, ses paraboles s’éclairent, les détails problématiques trouvent une explication.

On sait aujourd’hui que les quatre évangiles n’ont pas été écrits par leur saint éponyme**, que leur rédaction s’est étalée bien après la mort de Jésus sur des dizaines et des dizaines d’années, que les emprunts à des sources très variées sont multiples, que les manuscrits racontant les faits et dits de Jésus abondaient et que c’est Saint Irénée*** à la fin du deuxième siècle qui en a choisi quatre dans le lot pour essayer de trouver un cadre plus clair et cohérent à l’Église naissante, les autres écrits étant alors rejetés et dits « apocryphes ». Les quatre évangiles****, c'est-à-dire les évangiles synoptiques (proches et comparables) de St Luc, St Marc, St Mathieu et celui à part de St Jean, offrent d’ailleurs des variations non négligeables dans la présentation et les événements liés à la vie de Jésus.


Le Titien - La Transfiguration

Les sociétés mettent toujours un temps infini à se remettre en cause et à se défaire de leurs chaînes. On l’a vu avec l’histoire des rois de France, guirlande fastueuse d’égoïsme, de légèreté et de mépris ! Cependant la Révolution de 1789 a fini par advenir, mais combien de luttes et de temps a-t-il encore fallu par la suite pour arriver à proposer une société enfin plus juste et plus libre ? Et ce n’est pas fini…

Peut-être en va-t-il de même pour la religion, « Dieu est mort » disait Nietzsche, mais pas ceux qui travaillent à l’asservissement des autres au nom de références bibliques momifiées qui tombent en poussière dès qu’on les gratte un peu.

Livres cités dans ce billet


Notes :

*Sur le créationnisme voir la définition suivante : http://atheisme.free.fr/Themes/Creationnisme.htm


***Sur St Irénée voir l'article suivant : http://www.forum-francophone.com/t3672-saint-irenee

****Sur les évangiles voir l'article : http://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/J%E9sus/125884

Voir mon article sur le livre « La construction de Jésus » : 1 Article sur mon Blog

Voir mon article sur « Contre l’homophobie, l’homosexualité dans la Bible » : 2 Article sur mon Blog

Voir mon article « Les plafonds divins » : 3 Article sur mon Blog

Léonard de Vinci, baptême du Christ

2 commentaires:

  1. Formidable article, plein de pertinence : très clair et tellement vrai ! Combien de préjugés tenaces restent encore effectivement à balayer... Je retiens certains passages très justes, parmi lesquels : "Il est difficile de lutter contre une tradition, une habitude culturelle, une paresse mentale et un manque de sens critique, sans compter le poids d’inertie que représentent les fondations de ces monuments de la croyance humaine pris dans le béton des mots et des dogmes !"
    C'est, hélas, encore bien trop vrai !
    Beaucoup d'énergie, d'efforts et de travail sont encore nécessaires pour faire évoluer les mentalités... E. de La Boétie n'avait-il pas eu le courage de dire que la servitude est volontaire ? A méditer, oui, pour agir !!
    Merci, Jean-Louis !

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  2. Zannis marie flore16 avril 2012 à 08:47

    Un texte magnifique de notre ami qui sans cesse s'interroge au travers de notre Histoire sur le devenir et la permanence de l'homme. Je n'ai pas lu le livre de Pullman mais ces commentaires me rendent curieuse.
    Il est évident que tout est à revoir, depuis la traduction même des évangiles, pour appréhender la véritable identité de Jésus . Quand Jésus est-il devenu le Christ ? D'ailleurs lui même demande à ses disciples "pour vous, qui suis-je ?". Etait-il un prophète, le Messie , le fils de Dieu ?
    Mais Jésus lui même le s'est jamais identifié à Dieu.


    Et comme tu le dis , Jean Louis ," la paresse mentale" entraine la majorité de nos contemporains dans une ignorance toute volontaire.
    Merci Jean Louis pour toute ta clairvoyance et ton talent d'écriture.

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